Édito — Pourquoi le monde entier souhaite racheter votre cabinet ?
Depuis plusieurs années, la financiarisation s’installe dans les professions réglementées. Les fonds d’investissement, attirés par la rentabilité et la récurrence des revenus arrivent dans des secteurs historiquement fondés sur des valeurs d’indépendance, de confiance et de service.
Les experts-comptables semblent être les prochains concernés.
D’ailleurs, qui n’a pas reçu une ou plusieurs sollicitations sur les 12 derniers mois, de la part de cabinets nationaux, régionaux ou de nouveaux acteurs (parfois hors profession).
Certains d’entre eux sont, et cela est vraiment nouveau, appuyés de fonds d’investissements. Probablement parce que la transformation en cours (facture électronique, intelligence artificielle, développement de nouveaux services, formation des équipes) demande des investissements bien plus importants que tout ce que la profession d’expert-comptable a connu jusqu’à présent.
Nous avons mené l’enquête sur d’autres professions réglementées qui ont connu ce séisme avant les Experts Comptables.
Petit tour d’horizon de ce phénomène
Le marché français de la biologie médicale est fortement concentré : six groupes dominent aujourd’hui plus des deux tiers du secteur, tous soutenus par des fonds d’investissement.
Cette concentration a provoqué un recul marqué de l’indépendance des laboratoires historiquement détenus par des biologistes libéraux.
Malgré les alertes répétées de la profession, aucune mesure structurelle n’a inversé la tendance ; l’État s’oriente désormais vers un encadrement économique des marges et profits plutôt qu’un retour à l’indépendance capitalistique.
La financiarisation y est donc déjà une réalité installée.
(Sources : DREES – Panorama 2023 de la biologie médicale ; Le Monde, 21 avril 2024).
La radiologie libérale connaît, elle aussi, une entrée croissante de capitaux financiers dans les centres d’imagerie.
Des praticiens se sont regroupés au sein du collectif CORaIL pour alerter sur la perte de contrôle et promouvoir les structures détenues majoritairement par des radiologues en exercice.
Malgré plusieurs démarches auprès des instances ordinales et administratives, aucune interdiction générale de la financiarisation n’a été décidée.
Les regroupements continuent, l’uniformisation des pratiques progresse, et de nombreux radiologues deviennent salariés ou associés minoritaires au sein de réseaux à logique capitalistique.
(Sources : URPS Médecins AuRA 2024 ; Théma Radiologie 2023 ; réseau CoRaIL 2024).
La pharmacie d’officine demeure une exception en Europe : son cadre légal protège strictement l’indépendance des titulaires.
Conformément aux articles L5125-16 à L5125-18 du Code de la santé publique, le capital et les droits de vote des sociétés d’exercice libéral de pharmaciens doivent être majoritairement détenus par des pharmaciens d’officine en exercice.
Toute détention par des investisseurs extérieurs est interdite.
Cette règle double – capital et vote – empêche toute prise de contrôle économique déguisée ; le pharmacien reste maître à bord et garant d’une mission de santé publique avant toute logique financière.
(Sources : CSP art. L5125-16 à L5125-18 ; Ordre national des pharmaciens, note « Financiarisation de l’offre de soins », 2024 ; Cour des comptes RALFSS 2025).
Le secteur vétérinaire est en pleine mutation : des groupes à capitaux extérieurs ont racheté en quelques années plusieurs centaines de cliniques.
La loi impose pourtant que la majorité du capital et des droits de vote des sociétés d’exercice soit détenue par des vétérinaires en exercice (article L241-17 du Code rural).
Mais certains montages – pactes d’associés, conventions de gestion, clauses de préférence – ont permis des contournements de fait.
Le Conseil d’État, dans plusieurs décisions de 2023, a confirmé les sanctions disciplinaires prononcées par l’Ordre contre ces structures : les clauses qui privent les vétérinaires du contrôle effectif de leur activité sont désormais jugées contraires aux principes d’indépendance.
Malgré ces succès contentieux, la pression économique reste forte, et l’installation indépendante recule chez les jeunes diplômés.
(Sources : Conseil d’État, 29 juin 2023 n°464803 et n°464805 ; Ordre national des vétérinaires, communiqué 2023 ; Fidal, analyse 2023).
Aujourd’hui, notre profession n’est pas encore pleinement touchée mais les signaux sont là :
Et certains confrères ont déjà franchi le pas, intégrant des groupes à dimension financière. Le Label Co-Pilotes s’intéresse à ces évolutions particulièrement sous l’angle de l’avenir des cabinets indépendants.
C’était d’ailleurs un de nos sujets d’échanges lors du dernier Rassemblement Experts qui s’est tenu à Séville en début de mois.
Un tournant, une opportunité ou une menace pour les indépendants ?
Cela dépend avant tout des convictions et des objectifs de chacun.
A suivre de près en tout cas.
🔍 La financiarisation est en marche. Elle transforme, structure, mais aussi questionne profondément l’essence de nos métiers.